Rigidité organisationnelle, Compétence et Loyauté



Il est un phénomène qui est observable à l'envi au sein des organisations, c'est celui de la rigidification de celles-ci. Rigidification organisationnelle s'entend où la loyauté s'affiche préférable au détriment de la compétence, ce qui entraîne des conséquences en cascade : ralentissement des embauches ; vieillissement du cercle décisionnel ; déréliction et désinvestissement des personnes énergiques et innovantes ; dysfonctionnement des services etc. 

Attention : cela ne signifie aucunement qu'un employé compétent soit infidèle et qu'un employé incompétent soit fidèle! Il s'agit d'une appréciation consacrée par des décisions interpersonnelles prises par la direction dans une orientation stratégique qui favoriserait plus la qualité de loyauté sur celle de compétence dans son recrutement externe comme de son tableau d'avancement interne. Cela révèle et amplifie des tares managériales comme l'effet Dunning-Kruger où ceux qui sont incompétents prennent des décisions sentencieuses recueillant l'approbation de la direction qui apprécie la capacité à trancher tandis que les gens compétents tempèrent toute action intempestive, les faisant passer pour des indécis auprès des instances décisionnelles.

Pour ce faire, nous allons appliquer une formule simple, dite d'homéostasie. C'est à dire que nous prenons un niveau de rigidification de 0 à 10, et deux niveaux homéostasiques, C pour Compétence et L pour Loyauté, gradués eux-aussi de 0 à 10. Il est impératif de bien saisir qu'il s'agit du désir de Loyauté et du désir de Compétence dans la phase recrutement/promotion par l'instance dirigeante : il ne s'agit pas de la loyauté et de la compétence en tant que telles! 
Ainsi L=R et C=10-L.

 

Cette rigidification n'est cependant - et fort heureusement - pas irrémédiable. Elle n'entraîne pas non plus inéluctablement la chute de l'organisation car un redressement, même sectoriel (dans un ou plusieurs départements) peuvent atténuer ou même renverser la tendance. Il n'en demeure pas moins que ce phénomène existe et expose lesdites organisations à un défi qui est celui d'une perte de compétence(s), et en corollaire, de compétitivité.

Compétence et loyauté n'ont pas vocation à s'opposer dans l'absolu, l'idéal étant de concilier les deux composantes, cependant la dynamique sociale fait que l'une (la loyauté) s'impose plus facilement vis à vis de l'autre (la compétence) au-regard de la longévité car toute entité vise à sa sécurité, donc à sa pérennité.

Il n'y a pas de garde-fou idéal pour prévenir ce phénomène qui touche surtout les entités qui bravent l'épreuve du temps : il y a un esprit de corps qui se créé et qui s'auto-alimente. La rigidification est paradoxalement l'apanage des organisations dont la longévité s'accroît, car il est compliqué de garder la même recette, les mêmes méthodes, la même volonté, le même enthousiasme avec le temps. En somme l'on pourrait énoncer que le désir de stabilité produit la rigidité. Les grognards gagnent au fil du temps une position privilégiée, pas forcément d'inamovibilité mais à tout le moins de stabilité précisément car ils sont les sentinelles du passé, à la stature rassurante pour le dirigeant ou l'équipe dirigeante.

Dans les modèles d'entreprises centripètes, qui sont la norme, ce modèle se répète inéluctablement puisque l'organisation centripète ramène tout au dirigeant ou à l'équipe dirigeante. Lequel ou lesquels prennent les décisions de recrutement ou de promotion selon le principe d'homophilie, lequel se nomme aussi syndrome du scarabée. Un modèle nodal est largement moins affecté par ce phénomène car la transversalité oblige à une circulation plus fluide des idées, des compétences et des initiatives. Dans une organisation nodale, la prise de décision est décentralisée, ce qui favorise l’émergence de nouvelles dynamiques et limite l’ancrage excessif dans des pratiques ou des loyautés établies. Cette structure, en encourageant la collaboration entre différents pôles et en valorisant les contributions individuelles basées sur la compétence, dilue l’effet de rigidification. Elle permet une adaptation plus rapide aux changements externes et une meilleure intégration des talents, qu’ils soient internes ou externes, réduisant ainsi le risque de sclérose organisationnelle.

Pour contrer la rigidification dans les modèles plus traditionnels dont le phénomène est - je le répète - naturel, il est possible en revanche d'en limiter les conséquences organisationnelles : plusieurs pistes peuvent être envisagées. Tout d’abord, une politique de recrutement et de promotion qui équilibre explicitement compétence et loyauté, en évitant de privilégier systématiquement cette dernière, peut renouveler le vivier de talents. Ensuite, l’instauration de mécanismes de rotation des responsabilités ou de renouvellement périodique des équipes dirigeantes peut empêcher la formation de cercles fermés et figés. Enfin, cultiver une culture d’innovation et d'entreprise, où l’expérimentation et la prise de risque mesurée sont valorisées de même que l'adhésion à un historique, ce qui permet de maintenir une organisation en mouvement, capable de s’adapter aux défis contemporains tout en exposant une identité reconnaissable et valorisable. Tout est en réalité une question d'équilibre, de mesure : changer pour changer est déstabilisant tandis que figer pour figer est déresponsabilisant.

En définitive, si la rigidification organisationnelle est un écueil naturel des structures pérennes, elle n’est pas une fatalité. Une vigilance constante, alliée à une gouvernance agile et à une ouverture aux compétences externes en parallèle de la promotion des compétences internes, peut transformer ce défi en une opportunité de renouvellement et de résilience. La clef réside dans la capacité des dirigeants à reconnaître les signes avant-coureurs de cette rigidité et à agir avec audace pour préserver la vitalité et la compétitivité de leur organisation. Dans le cas contraire, cette dernière perdra peu à peu à la fois son attractivité et sa compétitivité jusqu'à atteindre le seuil critique qui obligera à des décisions douloureuses.