L'effet pervers de la métropolisation : l'approche centripète des transports
La présente analyse est tirée à la fois de mes recherches sur les mobilités 3.0 comme de ma participation au Conseil de développement de l'Eurométropole de Strasbourg.
À l'occasion des travaux d'extension du tram de la ville de Strasbourg, un phénomène m'a particulièrement intrigué : celui d'une volonté publique de désenclaver les quartiers et communes autour de l'Eurométropole (en l'espèce il s'agissait de Schiltigheim et de Wolfisheim). Choix lexical plutôt étonnant lorsque l'on sait que le risque d'enclave serait plutôt pour le centre-ville plutôt que pour la constellation de localités à ses proches alentours.
Sans m'étendre sur la justesse des travaux en cours, je m'interroge sur une vision passablement centripète : en effet, le maillage en étoile des transports prend la ville principale comme point central de toutes les lignes existantes. La création d'une desserte orbitale autour de ladite métropole n'étant pas à l'ordre du jour, ce qui est notamment surprenant car cela participerait précisément à un désenclavement des unes vis à vis des autres.
Cette approche radiocentrique des transports manque d'appréciation des nouvelles dynamiques que doivent affronter les centre-villes qui pensent que restreindre (ou interdire) les véhicules personnels pour les remplacer par des transports collectifs pourraient être une opération bénéfique à la fois sur le plan écologique, économique et logistiques. Il n'en est pourtant rien.
En effet, cette vision centripète, qui privilégie les flux radiaux vers le centre-ville, néglige les besoins croissants de déplacements inter-périphériques. Les habitants des communes environnantes, comme Schiltigheim ou Wolfisheim, ont de plus en plus besoin de se déplacer entre elles pour des raisons professionnelles, commerciales ou sociales, sans nécessairement passer par le centre de Strasbourg. Cette nécessité est d’autant plus criante avec la croissance exponentielle des zones commerciales et d’entreprises en périphérie, attirées par des coûts fonciers plus abordables et des espaces plus vastes.
Ces pôles économiques, situés en bordure de l’Eurométropole, deviennent paradoxalement difficiles d’accès pour les résidents des communes avoisinantes, qui doivent souvent effectuer des trajets longs et coûteux via le centre-ville faute de liaisons directes. C'est précisément une desserte orbitale qui permettrait de répondre à ces dynamiques en facilitant les liaisons directes entre les pôles secondaires, réduisant ainsi la congestion du centre-ville et les temps de trajet.
De plus, l’approche radiocentrique renforce une dépendance excessive au centre, qui devient un goulet d’étranglement pour les flux de transport. Elle limite la résilience du réseau face aux perturbations (travaux, incidents, saturation) et freine le développement économique et social des communes périphériques, qui restent tributaires d’une connexion au centre pour leur accessibilité.
Sur le plan écologique, en incitant à des trajets plus longs pour relier les communes périphériques via le centre-ville, cette approche logistique augmente la consommation énergétique des transports collectifs et, paradoxalement, l’empreinte carbone globale et l'émission de polluants des déplacements. Les véhicules, qu’ils soient individuels ou collectifs, parcourent des distances inutiles, ce qui accroît les émissions de gaz à effet de serre et de particules fines. En sus, l’absence de dessertes orbitales favorise le recours à la voiture individuelle pour les trajets inter-périphériques, en raison de l’inefficacité des alternatives actuelles. Ce phénomène est particulièrement marqué pour les trajets vers les zones commerciales et d’entreprises, où les infrastructures de transport public sont souvent sous-dimensionnées ou inadaptées.
Enfin, cette approche ne prend pas en compte la cherté croissante des abonnements de transports collectifs, dont les tarifs n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. Cette hausse tarifaire, souvent justifiée par les coûts d’entretien et d’extension des réseaux, pèse lourdement sur les ménages des communes périphériques, qui payent pour ces projets sans pour autant en bénéficier (sans omettre la tarification solidaire qui pèsent sur les actifs qui n'en peuvent mais).
Sans une desserte orbitale pour réduire les distances et optimiser les trajets, les usagers se retrouvent confrontés à des coûts disproportionnés par rapport à l’efficacité réelle du réseau. Cette situation renforce les inégalités d’accès et limite l’attractivité des transports collectifs comme alternative viable à la voiture individuelle. En somme, l’approche centripète reflète une vision datée de l’urbanisme, qui ne prend pas suffisamment en compte l’évolution des métropoles vers des modèles polycentriques, où les interactions entre les pôles périphériques deviennent aussi cruciales que celles avec le centre. Une desserte orbitale, en complément des lignes radiales, permettrait de construire un réseau de transport plus équilibré, mieux accepté et adapté aux réalités contemporaines.