Strasbourg, future ville à la voie sans issue [2019]
Depuis l’affaire du Dieselgate, les métropoles de
France entendent bannir les automobiles, et partant de là les automobilistes,
de leur périmètre. Pas toutes les automobiles non, mais tout ce qui est mû par
une motorisation thermique (alias motorisation à combustion interne pour être plus précis), soit près de… 93% du parc automobile actuel !
La tâche est titanesque mais la volonté politique est là. Strasbourg ne
manquant à cet effet pas une occasion de suivre à la trace Paris. D’où la
décision prise en assemblée plénière de l’Eurométropole.le 27 septembre 2019 de
bannir, en plusieurs échéances, l’ensemble des véhicules thermiques sur un large
territoire (par 69 voix pour, 4 contre et 12 abstentions) d’ici 2025.
Ce faisant, cette décision cache en réalité une
méconnaissance de la réalité et des conséquences insidieuses pour un territoire
de 339 km2 où résident près de 490 000 habitants.
L’objectif premier de rendre l’air plus pur est
louable, seulement il butte sur une réalité :
1) Les
transports sont responsables de 38% des polluants, les 62% restants le sont
suite au chauffage domestique, aux travaux agricoles, à l’industrie et à la
production d’énergie, et encore faut-il distinguer sur ces 38% les transports
individuels du reste, soient 62%. Ce qui aboutit à 23% au total, ce qui n’est
pas rien mais n’est pas tout non plus ;
2) Les
motorisations thermiques sont désormais soumises à un test WLTP qui vérifie les
rejets de gaz à effet de serre comme des polluants dans des conditions réelles,
ce qui permet une approche moins aberrante que les vignettes Crit’Air (fondées
sur la date d’immatriculation des véhicules plus que sur ses données
mécanico-chimiques, les GES n'étant pas pris en compte par exemple) ;
3) Le
diesel n’est pas un produit pétrolier à la demande : il est la résultante
d’un processus en étapes appelé distillation, et qui intervient à un certain
stade de celle-ci. Si les transports diesel cessaient, l’on serait condamné à
rejeter le gasoil dans la nature, soit près de 20% de la masse brut de pétrole. De même que l'interdiction d'utilisation du diesel paralyserait tout le pays puisque c'est le carburant largement majoritaire pour les camions de transport, les engins de chantier, les bateaux de pêche et les tracteurs agricoles ;
4) Idem
pour l’essence qui représente pratiquement 35 à 40% de ce même procédé de raffinage
et qui sera concernée par cette interdiction ;
5) Quoique
l’on puisse en penser, l’air est plus pur en 2019 qu’il ne l’était en 1989,
lire à ce sujet l’ouvrage de Christian Gerondeau intitulé ‘L’air est pur à
Paris…mais personne ne le sait’. Rappelons-nous qu’en Alsace, les pluies acides
décimaient nos forêts il y a encore trente ans, ce qui n’est plus le cas de nos
jours ;
6) Circulation
et végétalisation peuvent tout à fait cohabiter, les plantes ayant besoin de
CO2 pour leur croissance précisément mais le choix de l’Eurométropole semble
être plus clairement la disparition des espaces verts au profit de
l’aménagement de nouveaux ensembles urbains résidentiels et commerciaux ;
7) En
imposant un retrait forcé des véhicules diesel puis essence à toute une partie
de la population, l’on ouvre la voie à une obsolescence prématurée alors que
l’intérêt des motorisations diesel réside justement dans leur longévité d’où
l’envoi à la casse de centaines de milliers de véhicules avec alourdissement de
la facture écologique ;
8) Les
Crit’Air 1, au même titre que les véhicules électriques/hybrides rechargeables,
seront seules autorisées après 2025, ce qui au final offre un permis de polluer
aux individus les plus fortunés puisqu’un véhicule surpuissant à essence, produit pourtant la même année qu'un véhicule diesel répondant à la même norme Euro 6, sera tout à fait exclu
de l’exclusion ;
9) Une interrogration demeure relative aux véhicules de collection, c'est à dire plus de trente ans d'âge : seront-ils exemptés de ces interdictions comme à Paris ou proscrits comme à Lyon et à Grenoble? Ce différentiel de traitement ne manque pas de souligner le caractère arbitrairement local de telles décisions.
Les conséquences insidieuses :
1) Le
refus pour des entreprises ou des professions libérales de venir exercer dans ces métropoles
(ce qui est déjà le cas à Paris), ce qui va priver ces zones urbaines d’artisans,
d’experts, de cadres, de techniciens qualifiés et même certains fonctionnaires renâclant à une mutation avec pour conséquence logique
une pénurie de talents ;
2) Pour ceux qui continueront de s’y rendre, il y aura obligatoirement une répercussion sur la facturation de leurs prestations en raison de cet investissement imposé pour circuler dans l'Eurométropole, et ce au détriment des résidents et institutions de la métropole recourant à leurs services. Pire encore, un grand doute subsiste quant au fait que les entreprises acceptent de changer toute ou partie de leur flotte automobile diesel/essence avant le terme de son amortissement ;
3) Le
risque de congestionner les abords de ces métropoles, où l’homéostasie des flux
de circulation va rendre dramatique l’engorgement de certains axes non prévus
pour supporter cette charge supplémentaire de passages ;
4) La
désaffection forcée et rapide du diesel vers les motorisations essence
s’accompagne logiquement depuis deux ans d’une recrudescence du CO2 en France
et dans les pays européens alors que les taux avaient atteint un seuil record
en 2016 (sur la base des immatriculations de véhicules neufs), Strasbourg n’y
fera aucunement exception ;
5) Les
aides peuvent être détournées au profit des ménages les plus aisés comme cela
fut le cas pour les primes à la conversion débloquées par le gouvernement suite
au mouvement des gilets jaunes, à la stupeur justement des autorités ne
comprenant pas qu’un véhicule neuf électrique à 27 000 euros soit
inaccessible pour une majorité d’individus, même avec 6 000 euros de
subvention ;
6) La
mesure pose de manière très nette notre rapport à la liberté de
circulation : ralentisseurs de tous types, zones 30, séparateurs de voie,
chicanes et rétrécissements de voie ne suffisent désormais plus : le stade
ultime est enclenché, c’est-à-dire le retrait du choix du mode de circulation ;
7) Le
stress sur le parc immobilier et une hausse mécanique des loyers comme des
chambres d’hôtel en obligeant une partie des individus situés en dehors de
Strasbourg à souscrire à une location en ses murs de plus ou moins longue durée ;
8) L’on
fait porter aux seules automobiles les épisodes de forte pollution
photo-oxydante alors que la donne est bien plus complexe puisque très liée aux
situations anti-cycloniques ;
9) Les véhicules de services et entreprises publics seront exemptés de ces interdictions de circulation, ce qui créé une disparité de traitement difficilement compréhensible hors cas des véhicules d'urgence (Article R311-1 du Code de la Route).
Des questions en outre demeurent sans
réponse :
1) L’électromobile
est un véhicule propre au regard de ses émissions mais pas de sa production, car
en son cycle de vie un tel véhicule est en termes de pollution atmosphérique peu
ou prou similaire à celui d’un véhicule thermique ;
2) L’avènement
de l’électromobilité, imposée aux forceps par les autorités nationales et
locales, bute sur un écueil dont elles semblent peu se soucier : qui
paiera pour les infrastructures ? Si Strasbourg veut devenir un parangon
de l’électromobilité, est-elle prête à investir massivement dans les bornes de
recharge (de préférence à haute puissance, supérieure à 22 kW) ? Et si oui, serait-elle prête à accorder le
rechargement gratuit aux électromobiles provenant de l’extérieur? ;
3) En
choisissant unilatéralement l’électromobilité, l’on ferme toute porte à
l’hybridation, à la filière hydrogène ou encore à aux biocarburants de seconde
génération, et même aux moteurs thermiques en prototypage aux résultats
impressionnants. Cette électrolâtrie illustre combien le débat est biaisé et ne
repose en rien sur la liberté de choix laissé aux usagers de la route [1].
En somme, cette décision est inique socialement
et économiquement tout en n’ayant qu’un impact très limité sur la réduction de
la teneur en polluants et gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Elle
aggravera à coup sûr en revanche les rapports entre métropole et périphérie. Le
flou pesant sur les mesures d’accompagnement ne manque pas non plus de
surprendre et corrobore la prévision précédente. Enfin, il est étonnant qu’une
telle décision soit entérinée sans aucune prise de concertation - ni même un
débat public - avec la population qui en subira de plein fouet les effets.
Comment une si maigre poignée d’élus peut-elle opter pour une disposition aussi
conséquente, surtout lorsque l’on sait combien la démocratie représentative est
devenue une pantalonnade de l’expression publique ? Mais il est vrai que
la consultation en 2011 sur le passage de Strasbourg en zone 30 s’est muée -
malgré le refus d’une majorité de la population s’étant prononcée sur le sujet
- en un découpage territorial pour mieux dispenser les zones 30, façon
tactique du salami hongrois.
Un tel choix ressort nettement d’une approche
idéologique, puisqu’il prime sur toute considération de nature technique,
énergétique, logistique, économique et sociale avec des conséquences mal ou non
envisagées. Accentué négativement par des modalités d’accompagnement floues
rendant l’application encore plus arbitraire. Or, cette politique est
irrémédiablement vouée à l’échec tant sur le front de la pollution que sur le
front du développement économique et intellectuel de la ville dont
l’attractivité pâlit au même titre que Paris dont elle n’est qu’une copie
grossière. L’essor des villes est inextricablement lié aux échanges avec
l’extérieur et non à leur fossilisation. Strasbourg, comme plusieurs de ses
consoeurs, est symptomatique d’une grave maladie irriguant la vie
française : l’éleuthérophobie.
Les solutions existent mais elles obligent à
réfléchir en termes d’écosystème, et plus précisément de géonomie, et non par des mesures
discriminatoires, impératives et punitives. Sans quoi Strasbourg, la ville de
la route étymologiquement, risque bien de devenir la ville à la voie sans issue.
J’alerte en ce sens les autorités
strasbourgeoises de la même manière que je le fis pour les services de la
présidence française le 16 janvier 2018, où de façon prémonitoire je
développais de sérieuses réserves quant aux mesures relatives en matière de
mobilités, et ce plusieurs mois avant le déclenchement de l’épisode des gilets
jaunes.
[1] Bien
qu’étant adepte de l’électromobilité (cf Automobiles 3.0), je m’inquiète d’un électrogate à venir en
raison du concept de véhicule propre qui entoure cette modalité de déplacement.
PS : En recevant le magazine officiel de l'Eurométropole de novembre-décembre 2019, l'on peut constater deux points : 1) l'appui emphatique à l'usage du vélo avec force articles, levant tout doute sur la liberté du mode de déplacement 2) le compte-rendu d'Atmo Grand Est (association agréé par le Ministère de l'Environnement chargée de la surveillance de la qualité de l'air) où l'on apprend que... l'air est plus pur avec une baisse de 52% entre 2015 et 2017 des émissions d'oxyde d'azote et entre 37% et 52% des particules fines (selon leur taille). D'où le sentiment que les mesures de mobilité engagées tiennent plus compte du contexte politique qu'environnemental.
PS : En recevant le magazine officiel de l'Eurométropole de novembre-décembre 2019, l'on peut constater deux points : 1) l'appui emphatique à l'usage du vélo avec force articles, levant tout doute sur la liberté du mode de déplacement 2) le compte-rendu d'Atmo Grand Est (association agréé par le Ministère de l'Environnement chargée de la surveillance de la qualité de l'air) où l'on apprend que... l'air est plus pur avec une baisse de 52% entre 2015 et 2017 des émissions d'oxyde d'azote et entre 37% et 52% des particules fines (selon leur taille). D'où le sentiment que les mesures de mobilité engagées tiennent plus compte du contexte politique qu'environnemental.