Emmanuel au Sahel : Itinéraire d'une défaite de Leslie Varenne
L’ouvrage de Leslie Varenne, journaliste et fondatrice de l'Institut Ivaris, est un véritable réquisitoire envers la politique étrangère de la France, s’éloignant du bien commode mème « C’est les russes » (sic!) pour détailler comment ce pays autrefois si respecté et si écouté est devenu un repoussoir, y compris pour des alliés de longue date, sur le sol africain.
Car l’effet domino au Sahel a été visible en quelques années, du Sénégal au Tchad, à commencer paradoxalement par le Mali où la France avait au sortir de l’opération Serval réussi à redresser une situation périlleuse pour le pouvoir local. Comment d’un succès militaire en est-on arrivé à un échec d’ampleur géopolitique ?
C’est là tout l’attrait de cette analyse où le propos n’épargne ni le personnel politique ni l’état-major des armées, de même qu’elle n’entend pas faire porter le poids de cette responsabilité sur le seul hôte actuel de l’Élysée tant les erreurs ont été cumulatives depuis la présidence Sarkozy.
En premier lieu, c’est l’incapacité, et plus encore la volonté, de comprendre l’avènement d’une nouvelle donne géopolitique : les États africains du Sahel n’entendent plus être « convoqués » et subir derechef l’humiliant épisode de Pau du 13 janvier 2020 où les dirigeants du G5 Sahel furent assignés à se rendre audit sommet pour qu’ils y apportent des « clarifications ». Ce sommet marqua durablement les responsables politiques respectifs pour sa brutalité sur la forme et son absence d’empathie pour les pertes militaires des pays conviés (la rencontre avait été décidée suite au décès de treize soldats français au Mali en Novembre 2019).
Justement, évoquons en particulier le G5 Sahel, une organisation de 5 pays limitrophes (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad) inaugurée par la Mauritanie sous la présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz – et patronnée postérieurement par la France – dont l’objectif premier était d’apporter des solutions à toute cette zone géopolitique. Solutions au pluriel car initialement, les volets politiques, économiques, sociaux et logistiques complétaient le volet militaire de lutte anti-terroriste, tels qu’institués par les PIP (Plans d’Investissements Prioritaires). La reprise en main par Paris de ce groupement eut un effet délétère en l’orientant quasi-exclusivement vers la lutte contre les groupes armés (projet du FCG5S). En cloisonnant la lutte contre les conséquences, sans envisager d’en éradiquer les causes, ne pouvait que mener vers une impasse aux conséquences catastrophiques à double tranchant : l’ensablement de l’opération Barkhane et en corollaire l’exposition de ses militaires à la vindicte populaire ; le rejet de plus en plus virulent des populations et de leurs dirigeants à l’encontre de l’ingérence extérieure, et plus particulièrement française, où chaque geste était assorti de remontrances et d'obligations sans rapport avec les sujets brûlants. Ce sera par ailleurs les leçons qu’en tireront les pays profitant du retrait militaire et diplomatique de la France (Russie, Chine, Turquie, États-Unis, Émirats Arabes Unis, Arabie Séoudite etc.) : fournir hommes et matériel, conseiller techniquement et stratégiquement mais ne pas entreprendre de diriger les affaires.
Autre point – parmi bien d’autres – que l’auteur relève : l’obsession quasi-pathologique des dirigeants politiques et militaires français envers la Russie, les mêmes frappés en revanche de cécité sur l’action souvent inamicale de leurs propres « alliés » au Sahel. Ainsi l’on découvre que les États-Unis auront tout tenté, y compris envers les intérêts français, pour se maintenir au Niger, pays essentiel au travers de leurs deux bases aériennes (101 et 201, à Niamey et Agadez respectivement) et que la Commission Européenne ne manque pas de contourner le sas français pour dialoguer désormais avec les dirigeants de cette zone. Les positions de matamore envers la Russie accusée d’avoir évincé la France du secteur ne servent en réalité qu’à masquer une réalité crue : la diplomatie française s’est abimée dans l’incompréhension d’une nouvelle réalité géopolitique sur fond de désoccidentalisation. La gestion post-conflit en Libye, les sermons à répétition, le mépris en place publique, les conseillers spéciaux incompétents, les structures bureaucratiques pléthoriques et éphémères ont été autant de révélateurs de la déliquescence d’une compétence française désormais révolue : celle d’une diplomatie bien renseignée, bien coordonnée et bien équilibrée. Ainsi, l’absence de ligne claire quant à une stratégie pérenne d’un président à l’autre ainsi que d’un outil diplomatique expérimenté (la disparition de son corps l'ayant passablement ébranlé) ont durablement obéré toute solution d’avenir pour Paris.
L’ouvrage est très riche de points spécifiques à cet ensemble géopolitique, ce qui est précieux pour le quidam souhaitant mieux s’informer sur les pays cités dont la complexité mérite une approche autre que la niaiserie dont elle a fait l’objet par un exécutif français peu soucieux des formes comme du fond. L’apport des annexes en fin d’ouvrage sur le JNIM ou la CEDEAO est aussi particulièrement appréciable pour bien saisir les forces en présence sur le terrain et les bureaux.
Il ressort de cette lecture le sentiment d’un gâchis très prévisible : des dirigeants incultes, des ministres dépassés, des conseillers profanes en diplomatie, des stratégies hasardeuses, des mouvances radicales kaléidoscopiques, des puissances concurrentes actives, des européens ravis des déboires français, le tout combiné à une dette incontrôlable font que la Françafrique rejoint les noms communs surannés de l’Encyclopédie. Sur un plan plus institutionnel, la France ressort affaiblie durablement sur le plan international : dans des instances comme l’ONU, son rôle de pays spécialiste des affaires africaines est dorénavant remis en cause tandis qu’au sein de l’UE, l’Italie, et même l’Allemagne, entendent remplacer leur voisin éploré comme interlocuteur européen privilégié avec les États africains. Si le retrait français des pays du Sahel tente d’être compensé par de nouveaux partenariats sur le continent avec le Nigéria ou le Rwanda ou encore le renforcement des liens avec le Gabon, il n’en demeure pas moins que le camouflet est réel et les conséquences durables.
Leslie Varenne, Emmanuel au Sahel : itinéraire d’une
défaite, éditions MaxMilo
https://maxmilo.com/products/emmanuel-au-sahel