L'affirmation de la Chine comme puissance métallurgique / China's Assertion as a Metallurgical Power [2025]




En juillet 2023 puis en août 2024, la Chine a annoncé des restrictions sur l’exportation de germanium, de gallium puis d’antimoine à destination des pays occidentaux. Cette décision, qui n’était pas la première du genre par l’Empire du Milieu, revêt cependant une importance accrue dans un contexte global tendu avec les États-Unis. La décision acte aussi la maturité industrielle et logistique d’un pays qui se sait suffisamment robuste pour s’opposer aux intérêts occidentaux.

Trois matières critiques pour l’activité industrielle occidentale :

Germanium (Ge, numéro 32), gallium (Ga, numéro 31), antimoine (Sb, numéro 51): ces matières au nom si singulier n’ont guère défrayé l’actualité ces derniers mois. Cela est d’autant plus dommageable que leur rôle est essentiel dans les transitions écologiques et numériques que les sociétés occidentales se sont imposées mais aussi dans le développement de technologies civiles et militaires contemporaines. Car ces matières jouent des rôles cruciaux dans plusieurs secteurs en raison de leurs propriétés uniques.

Ce métal (le gallium) et ces métalloïdes [1] (le germanium et l’antimoine) disposent de qualités les rendant quasiment indispensables dans notre quotidien civil et militaire, voici quelques exemples pour mieux illustrer leur importance :



Gallium :

  • Semi-conducteurs : le gallium est principalement utilisé dans les semi-conducteurs, notamment dans l'arséniure de gallium (GaAs). Ce composé est préféré au silicium pour certaines applications électroniques car il offre de meilleures performances à haute fréquence, ce qui est essentiel pour les télécommunications, les satellites, et la production de micro-ondes.
  • LED : les diodes électroluminescentes (LED) utilisent souvent des substrats de gallium pour leur efficacité énergétique et leur luminosité.
  • Photovoltaïque : le gallium est également utilisé dans certaines cellules solaires à haut rendement.


Germanium :

  • Optoélectronique : le germanium est utilisé dans les fibres optiques et les dispositifs optoélectroniques en raison de son indice de réfraction élevé et de sa transparence dans les infrarouges.
  • Semi-conducteurs : avant que le silicium ne devienne dominant, le germanium était largement utilisé dans les transistors. Il est encore employé dans des applications spécialisées où ses propriétés électriques uniques sont nécessaires.
  • Infrarouge : les détecteurs infrarouges, comme ceux utilisés dans les caméras thermiques, bénéficient des propriétés du germanium.


Antimoine :

  • Alliages : l'antimoine est utilisé pour produire des alliages avec le plomb et l'étain. Par exemple, l'alliage plomb-antimoine est utilisé dans les batteries de démarrage pour les véhicules.
  • Retardateur de flamme : Il est aussi employé comme retardateur de flamme dans les plastiques et textiles, augmentant leur résistance au feu.
  • Électronique : L'antimoine est un composant clé dans certains types de semi-conducteurs et dans la fabrication de diodes et de cellules solaires.


Au regard de ces exemples, l’on saisit que ces trois éléments sont donc vitaux dans les domaines de l'électronique, des énergies renouvelables et des matériaux avancés. D’autant que leur demande croît avec l'avancement des technologies comme la 5G, les véhicules électriques, et les systèmes solaires photovoltaïques.

La nouvelle stratégie chinoise de contrôle de la chaîne de valeur :

Dans le nouveau grand jeu des puissances mondiales pour le contrôle et l’exploitation des ressources minérales, la décision de la Chine d’engager un embargo sur les exportations de ces trois matières premières n’est pas anodin car il traduit une très bonne connaissance du rôle d’icelles mais surtout, elle consacre la maturité de l’État rompant avec la stratégie des vingt-quatre caractères de l’ancien dirigeant Deng Xiaoping (1904-1997) [2].

Du reste, ce risque ne concerne pas uniquement les matières premières brutes mais aussi les technologies liées au traitement de celles-ci, et notamment concernant les terres rares où les autorités chinoises ont interdit l’exportation des procédés chimiques et des technologies pour leur séparation et leur raffinage. Lorsque l’on sait que la Chine représente 89% de l’exportation de celles-ci, l’on saisit d’autant plus facilement le rôle crucial de pareille décision politico-commerciale. Pour l’heure, les terres rares elles-mêmes ne sont pas frappées par un embargo ou une restriction d’exportation mais la menace, ponctuelle ou pérenne, est possible. Si elle devait être actionnée, alors ce serait un coup très dur pour la manufacture de moteurs électriques, de turbines d’éoliennes et de certains systèmes militaires de détection (radar et sonar).

Ce qu’il faut bien assimiler, c’est que ces décisions ne sont pas le fruit de sautes d’humeur erratiques mais procèdent d’une stratégie d’affirmation géoéconomique et de protection de ressources critiques comme d’un savoir-faire reconnu.

Lorsque Donald J. Trump (1946) insista jusqu’à « tordre le bras » du dirigeant ukrainien Volodimir Zelensky pour signer un accord commercial sur les ressources minérales du sous-sol de son pays (en insistant sur les terres rares en passant), ce n’est pas par déraison mais par une nécessité accrue pour les États-Unis de disposer de réserves conséquentes de matières premières dont l’emploi s’est considérablement accru depuis le XXème siècle, allant jusqu’à concerner l’intégralité du tableau périodique des éléments (118 à ce jour) en raison de l’extension et la complexification des technologies civiles et militaires.

La Chine qui a fait du véhicule électrique son cheval de bataille technologique et commercial [3], est un excellent démonstrateur de sa maîtrise de l’ensemble de la chaîne de valeur, partant de la matière brute jusqu’au produit fini, voire jusqu’aux prestations de services connexes. Témoignage de cette bascule géoéconomique de l’Atlantique vers le Pacifique, les États-Unis défendent désormais plus ouvertement une politique protectionniste depuis le premier mandat de Donald J. Trump tandis que la Chine est devenue le héraut du libre-échangisme avec pour principal enjeu la mainmise sur les ressources minérales et leurs lignes d’approvisionnement [4].

Dans un contexte où la domination mondiale contemporaine s’effectue au croisement de la puissance énergétique, métallurgique et algorithmique, la guerre commerciale pour les ressources minérales et les jeux d’influence diplomatiques battent leur plein.



[1] Les métalloïdes sont assimilés aux métaux mais avec des propriétés spécifiques dans les champs de la conduction électrique et thermique dont la structure chimique leur confère des réactions appréciées dans le domaine de la chimie et de l’électronique.

[2] La traduction de ceux-ci se résumerait ainsi en français : « Observer calmement, stabiliser sa position, répondre avec sang-froid, dissimuler ses ambitions, feindre l'humilité, ne jamais chercher à dominer. ».

[3] Y. Harrel, Électromobilité : des mines aux batteries, Nuvis, 2025.

[4] La crise du canal de Panama en janvier/février 2025 vise une remise en cause par l’exécutif américain des accords traités Torrijos-Carter de 1977 garantissant une liberté de transit. Or, le canal de Panama est entré dans la stratégie chinoise dite de Nouvelle route de la soie visant à se garantir des points de passage terrestre et maritime pour ses convois et ses flottes.





In July 2023 and again in August 2024, China announced restrictions on the export of germanium, gallium, and then antimony to Western countries. This decision, which was not the first of its kind by the Middle Kingdom, nevertheless takes on added significance in a tense global context with the United States. The decision also recognizes the industrial and logistical maturity of a country that knows it is robust enough to oppose Western interests.

Three critical materials for Western industrial activity :


Germanium (Ge, number 32), gallium (Ga, number 31), antimony (Sb, number 51): these materials with such singular names have hardly made the news in recent months. This is all the more damaging given their essential role in the ecological and digital transitions that Western societies have imposed on themselves, as well as in the development of contemporary civil and military technologies. Because these materials play crucial roles in several sectors due to their unique properties.

This metal (gallium) and these metalloids [1] (germanium and antimony) have qualities that make them almost indispensable in our daily civilian and military lives. Here are some examples to better illustrate their importance:



Gallium :

  • Semiconductors: Gallium is primarily used in semiconductors, notably in gallium arsenide ( GaAs ). This compound is preferred over silicon for some electronic applications because it offers better high-frequency performance, which is essential for telecommunications, satellites, and microwave generation.
  • LED: Light-emitting diodes (LEDs) often use gallium substrates for their energy efficiency and brightness.
  • Photovoltaics: Gallium is also used in some high-efficiency solar cells.


Germanium :

  • Optoelectronics: Germanium is used in optical fibers and optoelectronic devices because of its high refractive index and transparency in infrared light.
  • Semiconductors: Before silicon became dominant, germanium was widely used in transistors. It is still used in specialized applications where its unique electrical properties are required.
  • Infrared: Infrared detectors, such as those used in thermal imaging cameras, benefit from the properties of germanium.


Antimony :

  • Alloys: Antimony is used to produce alloys with lead and tin. For example, lead-antimony alloy is used in starter batteries for vehicles.
  • Flame retardant: It is also used as a flame retardant in plastics and textiles, increasing their resistance to fire.
  • Electronics: Antimony is a key component in some types of semiconductors and in the manufacture of diodes and solar cells.


Given these examples, it's clear that these three elements are vital in the fields of electronics, renewable energy, and advanced materials. Especially since their demand is growing with the advancement of technologies such as 5G, electric vehicles, and photovoltaic solar systems.

China's New Value Chain Control Strategy :

In the new great game of world powers for the control and exploitation of mineral resources, China's decision to initiate an embargo on the export of these three raw materials is not insignificant because it reflects a very good knowledge of their role but above all, it confirms the maturity of the State breaking with the strategy of the twenty-four characters of the former leader Deng Xiaoping (1904-1997) [2].

Moreover, this risk does not only concern raw materials but also technologies related to their processing, and particularly concerning rare earths where the Chinese authorities have banned the export of chemical processes and technologies for their separation and refining. When we know that China represents 89% of the export of these, we understand all the more easily the crucial role of such a political-commercial decision. For the moment, rare earths themselves are not affected by an embargo or export restriction but the threat, temporary or permanent, is possible. If it were to be activated, then it would be a very hard blow for the manufacture of electric motors, wind turbines and certain military detection systems (radar and sonar).

What is important to understand is that these decisions are not the result of erratic mood swings but are the result of a strategy of geoeconomic assertion and the protection of critical resources and recognized expertise.

When Donald J. Trump (1946) insisted on "twisting the arm" of Ukrainian leader Volodymyr Zelensky to sign a trade agreement on the mineral resources of his country's subsoil (with an emphasis on rare earths in passing), it is not out of unreason but out of an increased need for the United States to have substantial reserves of raw materials whose use has increased considerably since the 20th century, going so far as to concern the entire periodic table of elements (118 to date) due to the extension and complexity of civil and military technologies.

China, which has made the electric vehicle its technological and commercial battle horse [3], is an excellent demonstrator of its mastery of the entire value chain, from raw materials to the finished product, and even to the provision of related services. As evidence of this geoeconomic shift from the Atlantic to the Pacific, the United States has now more openly defended a protectionist policy since the first term of Donald J. Trump , while China has become the herald of free trade, with the main issue being control over mineral resources and their supply lines [4].

In a context where contemporary global domination is carried out at the intersection of energy, metallurgical and algorithmic power, the trade war for mineral resources and diplomatic influence games are in full swing.



[1] Metalloids are similar to metals but with specific properties in the fields of electrical and thermal conduction, the chemical structure of which gives them reactions appreciated in the field of chemistry and electronics.

[2] The translation of these would be summarized as follows in French: “ Observe calmly, stabilize your position, respond with composure, conceal your ambitions, feign humility, never seek to dominate.

[3] Y. Harrel , Electromobility: from mines to batteries , Nuvis , 2025.

[4] The Panama Canal crisis in January/February 2025 aims at a challenge by the American executive of the Torrijos -Carter treaties of 1977 guaranteeing freedom of transit. However, the Panama Canal has entered into the Chinese strategy known as the New Silk Road aimed at guaranteeing land and sea crossing points for its convoys and fleets.